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Les mains

A propos des mains et du toucher

Patrick JOUHAUD

 

Ce texte est dédié avec toute ma gratitude à Bernard, mon grand frère en médecine.

Sa confiance en mes mains et nos échanges du printemps et de l’été 2009 m’ont inspirés. Nos mains se sont assemblées souvent jusqu’à ce que l’horizon de son voyage disparaisse de mon chemin.

 

 

Les mains sont à la fois fortes et fragiles, elles savent se cacher ou s’exposer, prendre donner et supplier. Elles peuvent trancher, arracher, elles frappent et caressent. Elles sont douées d’une incroyable habileté, de capacités insoupçonnées. Leur présentation et leurs actes révèlent toujours celui ou celle à qui elles appartiennent.

Les mains sont un outil merveilleux à mettre entre toutes les mains !

 

 

Considérons le développement neuro-fonctionnel du bébé.

Durant les premiers mois de sa vie, l’enfant se sert de sa main fermée ou ouverte pour agripper et tenir.

Il affine ses fonctions digitales vers le 6ème mois en écartant les doigts, puis les bras et les poignets sur lesquels il prend appuis afin de stabiliser une posture assise puis à plat ventre. Il commence à adapter sa posture à la gravité. Il a 8/9 mois.

Puis il devient capable de se déplacer à 4 pattes, et en même temps, d’utiliser son pouce en l’opposant aux autres doigts (pince pouce-index en premier lieu). Il a 12 mois.

Lorsque ces étapes sont franchies, l’enfant se verticalise et marche seul, sans appuis, sans soutien, les mains libres. Il devient alors capable d’utiliser ses mains consciemment, comme par exemple prendre un jouet et le déplacer ou le jeter au sol.

Cette période de la vie correspond au passage d’une activité uniquement réflexe à une activité qui mettra en jeu le cortex cérébral, donc l’intelligence.

Il est dit que l’homme est intelligent parce qu’il a une main et parce qu’il est doué de la préhension entre le pouce et l’index.

 

Quelques mois plus tôt, ce bébé était un embryon de quelques millimètres de long et quelques jours de vie. Sa forme était celle d’une graine de haricot avec une extrémité ronde, le pôle céphalique qui deviendra la tête, et, une extrémité plus effilée, le pôle caudal qui deviendra le bassin. L’embryon, à son début, est quasi exclusivement constitué de tissus neurologiques, on l’appelle le tube neural. Il est dans une poche translucide, en relation directe avec un état de perfection absolue.

A proximité du pôle céphalique vont germer deux bourgeons qui deviendront les mains ; elles se forment complètement avant que n’apparaissent les poignets puis le reste des bras jusqu’aux épaules. Elles sont l’émanation directe du cerveau qui les construit parce qu’il en a besoin.

Elles restent toute la vie directement connectées aux centres supérieurs du cerveau. Elles peuvent être comparées à un groupe d’interventions spéciales en lien direct et permanent avec le grand directoire.

Il existe d’ailleurs une projection cartographique du corps humain sur son cerveau. Tant sur l’aspect sensibilité que sur l’aspect motricité, la surface représentée par la main est plus importante que celle représentée par la tête et n’est pas loin d’atteindre la moitié de la surface du corps ; le pouce a la part prépondérante.

Si l’on considère que le tube neural est un état de perfection absolue, la main de l’Homme est un faisceau de connexion directe à très haut débit avec sa source créatrice.

 

Le chemin parcouru depuis la forme parfaite que nous étions en vie embryonnaire, nous a fait utiliser des voies expérimentales, des autoroutes de facilités ; la vie nous a soumis à nos émotions et à celles des autres, nos pensées se sont encombrées de la paresse et des préjugés, moteurs de nos égoïsmes et du conventionnel.

La main n’est pas en reste pour nous soumettre aux vices et aux passions car les doigts ont une grande sensibilité tactile ; ils se trouvent à l’origine des voluptés charnelles tel le toucher électrique de l’amour passion, le port ostentatoire d’un bijou, la recherche de l’argent et des biens matériels.

Nos pensées comme nos mains perdent ainsi en se chargeant du passé leur fluidité naturelle.

Cela veut dire que nos pensées, comme nos mains sont liées à notre histoire familiale et personnelle, à notre schéma parental et social.

 

Cependant, l’homme est libre.

La liberté prend ici toute sa dimension quand le chemin commence dans la caverne utérine, pour se prolonger dans les différentes étapes de la vie.

En fait, l’homme n’est plus libre, c’est l’enfant qui l’est.

Pour se retrouver, l’homme devra descendre dans les méandres de son inconscient. Cette descente est un chemin ardu, une « route angoissante ». Elle nous met en lien avec la dimension temporelle du Présent, du Maintenant.

Elle induit une renaissance qui s’inscrit dans un renouvellement quotidien. Le passé devient un outil de connaissance de soi qui vient alimenter notre futur.

Nous pénétrons dans la profondeur de notre être réel pour devenir accoucheur de nous même.

 

Il est paradoxal que cette maïeutique se fasse avec les mots chemins, route, pas, et d’autres encore évoquant le pied. Il est paradoxal qu’elle utilise la parole et donc la langue, que ce soit sur le divan du psychanalyste ou bien dans tout autre lieu.

 

Cependant, ce sont bien les mains qui façonnent notre construction et notre naissance. On comprend leur importance dans la mise en route de ce travail, et la sacralité à accorder aux mains qui nous guident.

 

Le Psaume 24 dit :

« Qui gravira la montagne du Seigneur ou se tiendra à la sainte place ? Celui qui a les mains propres et un cœur pur. »

Le fait de se laver les mains est un préalable à certains actes de la vie ; il l’est à certains rituels.

Avoir les mains propres est en rapport avec le travail de renaissance et signifient le fait qu’elles actent nos pensées de façon authentique.

 

Si l’on veut une preuve de leur caractère sacré, il faut regarder la paume de ses mains…

Trois lignes se retrouvent constamment à gauche comme à droite : une courbe qui part environ 2 cm en dessous de la base de l’index et contourne la masse musculaire du pouce (éminence Thénar) pour se terminer vers la ligne médiane du poignet ; une seconde qui part à peu prés au même endroit que la précédente et se dirige vers le milieu de la masse musculaire dans le prolongement du 5ème doigt (éminence hypothénar) ; une troisième émerge entre le 2ème et le 3ème doigt et se dirige vers la base du 5ème doigt, environ 1,5cm en dessous. Elles sont particulièrement prononcées lors de la flexion des doigts.

Lorsque nous mettons nos mains face à face, nous réalisons que ces lignes sont en miroir et que les paumes concaves réalisent deux miroirs paraboliques.

Nous savons que les miroirs paraboliques captent des faisceaux de lumière.

Dans la tradition islamique, le dessin de ces 3 lignes courbes représente des nombres sacrés désignant les noms divins.

Rappelons-nous que c’est à la recherche de nous même que sommes ; nous cherchons notre essence, notre être essentiel.

 

Acceptons l’idée que nous pouvons donc capter la Lumière entre nos mains. D’autres l’ont fait avant nous, dont un certain Rodin avec une œuvre majeure qui représente deux mains qui s’approchent face à face, les doigts vers le haut, légèrement croisées en oblique, œuvre nommée « la cathédrale » !

Acceptons que cette Lumière puisse nous envahir et éclaire notre chemin.

Et pourquoi ne pas penser que ce rapprochement des mains est à l’évidence un geste de prière.

Remarquons également les représentations sacrées tels les icônes : les mains des divinités et des saints sont extrêmement longues et fines, ouvertes, parfois porteuses du Livre ou d’un autre symbole. Elles indiquent un sens, une direction et tracent dans l’espace le code caché du message sacré.

Au plafond des loges du Vatican, Raphaël a représenté Dieu avec ses mains lorsqu’il crée le monde.

Sur le plafond de la chapelle Sixtine, Michel-ange représente la création d’Adam par le contact de la main de Dieu.

 

Remarquons encore que les plus anciens témoignages de l’activité picturale humaine sont des empreintes humaines en négatif ; ce sont des contours de mains sur des parois de certaines grottes du paléolithique.

 

Dans l’initiation au Zen en extrême orient, les mains sont unies avec les bras croisés appuyés sur le plexus au centre du corps pour recueillir les forces cosmiques, les paumes des mains sont dirigées vers le haut dans la prière.

 

Dans le Bouddhisme, la main droite prend à témoin l’ascension de Bouddha vers le ciel et la main gauche est tournée vers la terre et en rapport avec la mendicité.

 

Dans le Soufisme, pour les Derviches Tourneurs la danse sacrée s’effectue avec une paume tournée vers les astres, l’autre en direction du sol ; le corps devient ainsi un pivot entre le ciel et la terre, sa rotation permet pendant ce rite extatique d’atteindre la conscience de dieu et la communion spirituelle.

 

Enfin, la Maçonnerie permet, par la chaîne d’union de mettre en relation les participants d’une loge et symboliser une œuvre de fraternité universelle.

 

De toute évidence, chaque main est différente et signe une identité propre à l’individu. Chaque ligne de main, chaque volume ou forme qui la dessine, permettent d’établir une empreinte digitale, des traits de caractères acquis et leur modifications périodiques, zodiacales par exemple.

Enfin, chacun des cinq doigts de la main correspond à un symbole particulier : le pouce (doigt de Vénus) est lié à la tête et correspond aux signes de vie ou de mort des romains. L’index (doigt de Jupiter) désigne et accuse. Le médius (doigt de Saturne) est le doigt du milieu, c’est à dire le doigt de la médiumnité. L’annulaire (doigt du soleil) est celui qui porte l’alliance. L’auriculaire (doigt de Mercure) est lié au cœur et à l’inconscient (mon petit doigt m’a dit…).

 

 

Après sa dimension sacrée et maïeutique, considérons la main et sa fonction sensorielle.

Sa complexité anatomique et physiologique lui permet une action motrice fine et particulière (29 os – 40 muscles), mais aussi et surtout sa richesse en récepteurs de la sensibilité et leur connexion directe aux centres supérieurs du cerveau en fait l’organe du toucher.

Le toucher a quatre aspects de perception de la réalité : La forme qui est volumétrique, la densité qui est la forme intérieure à la structure, le nombre qui diversifie et enrichit la forme, le mouvement et le repos en rapport avec la respiration.

 

De nos cinq sens, seuls la vue et le toucher sont objectifs. L’essence du TOUCHER est de regarder, et celle du REGARD est de toucher.

L’objectivité est un consensus subjectif ; il suffit donc que deux personnes accordent leur subjectivité à propos d’un élément pour créer un élément objectif. L’objectivité scientifique est crée par un groupe d’humains qui ont accordé leur subjectivité pour affirmer quelque chose ; l’Histoire nous prouve que cette objectivité est changeante.

Prenons deux exemples par rapport à la densité :

  • La table est dure, dit mon œil, parce que ma main l’a éduqué. Ma main ne peut donc modifier son aspect.
  • Le karatéka brise une brique avec sa main parce que son œil a modifié son approche subjective.

Dans ces exemples, la dureté a deux réalités objectives ; il suffit qu’à chaque fois, vue et toucher s’accordent.

 

Cela paraît simple mais n’explique pas vraiment comment les mécanismes du toucher sont mis en route et utilisés par l’ostéopathe. En voici une description.

 

Le toucher qui guérit est au cœur de cinq fonctions.

La première consiste à percevoir et écouter ; elle utilise les capacités de perception tactiles superficielles et profondes des doigts et des paumes. Des récepteurs neurologiques transmettent ici des messages directement aux centres supérieurs du cerveau. L’écoute manuelle est le temps de travail qui fait le diagnostic ostéopathique.

La seconde est celle de l’analyse et de la traduction des messages. La culture médicale et sa connaissance sont celles de l’anatomie et de la physiologie. Le médecin peut dés lors expliquer les parties du corps en souffrance, comprendre les mécanismes des perturbations et l’historique de leur mise en place.

La réponse doit ensuite être structurée. C’est la troisième fonction que l’on appelle intention. La pensée met en place un processus thérapeutique. Le geste thérapeutique est en même temps dans la tête et dans les mains.

Paradoxalement, la quatrième fonction consiste à savoir ne rien faire. C’est un aspect extrêmement difficile à maîtriser pour un médecin dont les longues études lui apprennent à décider et agir. Ne rien faire permet à cet instant précis du traitement, la réaction des tissus du sujet. Cette expression va dire si la main est juste ou non.

Il s’établit ainsi un dialogue entre la main du soignant et les tissus du soigné. Ce dialogue est la cinquième fonction du toucher. Il est à l’interface des quatre premiers. Sa maîtrise conduit le traitement vers la guérison.

Les mains du thérapeute sont de cette façon à l’interface de deux êtres, leur structure comme leurs fonctions.

 

 

En conclusion, retenons la fonction sacrée de la main et ses fonctions neuro-fonctionnelles complexes, sa position d’interface entre le matériel et l’immatériel, entre la pensée et les actes.

Retenons qu’elle est un outil de travail et de façonnage de notre être profond.

Les mains sont un merveilleux outil de créativité : du peintre au potier, du sculpteur au maçon, du chef cuisinier au tourneur sur bois, du jardinier à l’écrivain, du musicien au guérisseur,… de l’enfant au vieillard, elles animent et révèlent la lumière en toutes choses.

Dans notre métier de soignant, elles sont un outil thérapeutique.

 

 

 

 

 

 

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