Blessure factale N°2

Cas clinique : le bébé mort-né

Patrick Jouhaud

Lorsque la robustesse est atteinte par un traumatisme, l’efficacité physiologique est en chute libre, et toutes les versions structurelles se désorganisent les unes après les autres. Le résultat est un état de sidération tissulaire ou de figement liquidien. Il se produit alors comme un état de démotivation du corps qui perd ses repères entre ce qui est vivant et ce qui est mort.

Une jeune femme, dont l’accouchement a été réalisé par césarienne en urgence, sur dystocie de présentation, souffre du dos, du périnée, d’une dysurie, de dysménorrhée, de dyspareunie. Son bébé est mort-né ; elle est en deuil, en grande souffrance psycho-émotionnelle et spirituelle. Elle est toujours avec l’enfant dont elle a rêvé et qui ne sera jamais là. Son mari, le papa, l’accompagne à la consultation. Sa détresse est identique.

J’ai envie de les prendre dans mes bras et pleurer avec eux.

La cicatrice chirurgicale est inflammatoire et nociceptive. En d’autres termes, elle est rouge et gonflée, très douloureuse. Pour démarrer le traitement, je place une main sous le sacrum, et l’autre au-dessus de la cicatrice. La résistance tissulaire est intense, l’œdème inflammatoire bloque tous les mouvements, tandis que le périnée comme l’ensemble du pelvis ne « respirent » plus. Entre mes mains, la sensation d’un « rien », sans communication aucune, est exclusive.
Il faut du temps pour qu’elles perçoivent un début d’activité, un frémissement, puis la sensation d’une mobilité qui se synchronise progressivement avec la mécanique de la respiration thoracique. De façon concomitante, ma méditation de praticien, connecte avec l’instant de la vie embryonnaire où le périnée s’est construit. Il s’agit précisément des débuts de la gastrulation lorsque l’ectoderme se rassemble, se confronte et perfore l’orifice distal qui deviendra anus, et débute la construction de l’endoderme.

Mes mains sont immobiles et suivent les traces de la cicatrice, superficielle et cutanée, puis péritonéale et utérine en profondeur, endométriale enfin.

Le nid est encore comme habité, bien que vide.
L’obstétricienne qui accompagne sa patiente prononce la phrase, « la cicatrice est en T ».
J’entends « hantée ».
Les âmes en peine des parents se perdent dans ce lieu déserté et mortuaire.

Le travail de mes mains active les liquides figés et dénonce l’absence de l’enfant. Une énergie vitale renait dans l’utérus de cette maman.

Un fantôme s’éloigne et rejoint son au-delà.

Sa maman et son papa vont pouvoir vivre leur deuil. Un conseil d’aide en psychothérapie est donné. Ce traumatisme va s’intégrer à leur vie, en même temps que l’utérus reprend ses fonctions, ainsi que le périnée.

Le couple s’éloigne et repart d’un pas plus léger.
J’ai appris quelques semaines plus tard que les symptômes physiques douloureux avaient disparu.